Il y a eu une bonne nouvelle sur l’automne. Elle est sonnante et trébuchante pour les ménages corses. Le prix du baril de Brent est passé de près de 110 $/b en juillet à près de 60 $/b à la fin de la semaine dernière. Une telle chute (-40 % en moins de 6 mois) est rare surtout en dehors d’une crise financière grave. Même en tenant compte du la forte chute du cours de l’euro face au dollar, qui atténue cette baisse du brut pour nous, l’effet est très positif pour l’industrie et le consommateur européen.
Pour ceux qui doutent, cette baisse se retrouve bien dans les prix à la pompe, que ce soit pour le gazole ou le super. Pour l’un et l’autre, le prix du litre a perdu 6 % entre juillet et fin novembre (soit près de 10 centimes de moins par litre). Et ce n’est pas fini car la chute met du temps à se diffuser entre le baril et la pompe.
Une estimation rapide à partir du niveau de carburant consommé en 2013 et du prix moyen observé fin novembre montre que le gain de pouvoir d’achat représente déjà près de ½ % du PIB de l’île en année pleine. Si le cours du brut reste à 50 € comme actuellement (ce qui n’est en rien certain, les mouvements sur ce marché pouvant être très rapide dans un sens ou l’autre) et que les prix à pompe suivent bien, l’apport pourrait atteindre 1 ½ % du PIB en année pleine. Il s’agit là d’un petit plan de relance qui n’a rien coûté à l’Etat ou à la CTC et qui touche directement et concrètement les ménages. Mais, ceci n'arrivera que si la diffusion du contre-choc pétrolier est effective. Il est donc important que ce marché fonctionne bien et qu’il n’y est pas l’appropriation d’une rente au détriment du consommateur.
Il existe un écart de prix entre la Corse et le Continent, malgré la TVA réduite (13 % contre 20 %). Il est connu et suivi par l’observatoire économique de la Corse. En octobre dernier, les mesures avec un territoire de comparaison sur le Continent donnent un surcoût pour le consommateur corse par rapport à celui des Hautes-Alpes de 3,7 centimes d’euros par litre pour le SP95 et de 4,9 centimes pour le Gazole. Ainsi, il est légitime de se demander si le fonctionnement de ce marché est bien conforme à ce que l’on peut attendre ?
Selon une étude faite par l’Adec (cf. Corse-Matin, Via Stella et Corse Net Info), les causes de cet écart sont souvent imparables (coût du transport, taille du marché, absence de vente de carburants par les grandes surfaces, beaucoup de distributeurs indépendants). Mais, il ressort aussi que le coût d'exploitation des dépôts de carburant pose problème (vétusté donc coût de maintenance élevé, inadéquation entre capacité de stockage et demande sur le dépôt bastiais) et que les cuves ne peuvent « techniquement pas incorporer des biocarburants ». De ce fait, la TGAP (Taxe générale sur les activités polluantes) sur les carburants est plus élevée en Corse que sur le Continent. La surtaxe est de 4 centimes par litre sur le prix à la pompe. On retrouve l’écart avec les Hautes-Alpes uniquement par ce biais (il faudrait aussi ajouter le coût de stockage qui n'est pas détaillé dans les articles).
On a donc un impact très important lié à un seul maillon de la chaîne, à savoir l’opérateur en charge de l’importation et du stockage sur Ajaccio et Bastia. Ce dernier est « Dépôts Pétroliers de la Corse » (DPLC) (cf. fiche de cette société). Il s’agit d’une entreprise privée contrôlée par 3 distributeurs présents en Corse (RUBIS TERMINAL pour 48,50 %, Total pour 24,99% et BP - Delek France pour 21,50%).
DPLC est en situation de monopole sur son marché. Ce monopole est même un monopole naturel car la taille du marché (en volume mais aussi géographiquement), la nature et l’importance de l’infrastructure justifiant que l’on ne puisse avoir plusieurs opérateurs. Cet opérateur est contrôlé par les 3 principaux distributeurs présents en Corse, qui sont donc à la fois concurrents et partenaires. Attention, il ne s’agit pas d’affirmer ici qu’il y a entente, ce qui serait diffamatoire, mais ce mode de fonctionnement ne semble pas être une façon d’en exclure non plus la possibilité.
« Défaut d’investissement », « coûts élevés », « monopole », « monopole naturel », « entente » : l’addition de ces mots fait ressurgir des problématiques de concurrence, de défaillances de marché et de régulation couramment étudiées en microéconomie (voir aussi les travaux qui ont valu à Jean Tirole son prix Nobel).
Sans avoir la prétention de couvrir l’ensemble du sujet, allons directement aux conclusions les plus couramment admises :
- Un monopole conduit théoriquement à un prix supérieur à celui qui serait optimal socialement et une réduction de l'offre (« rente de monopole ») ;
- Un monopole non régulé peut aussi conduire à un sous-investissement (problématique des coûts fixes) et des coûts d’exploitation plus élevés que nécessaire ;
- Le monopole est situé au milieu d’une chaîne logistique et induit clairement des externalités sur les maillons suivants ;
- Pour ces raisons, une situation de monopôle naturel peut justifier un monopole public (comme RTE pour les lignes électriques) avec la notion de « planificateur bienveillant » qui puisse à la fois appliquer un prix plus bas (mais pas forcément au coût marginal car il y a aussi des coûts fixes) et prendre en compte des externalités.
Alors une fois qu’on a dit tout ça, faut passer d’un monopole privé à un monopole public ? La réponse est loin d'être évidente car cette question se scinde en une série d'interrogation :
- Sur l’organisation en elle-même : les distributeurs peuvent-ils avoir des politiques d’approvisionnement intégrant un opérateur indépendant gérant les dépôts ? Peut-on techniquement incorporer des biocarburants en Corse ?
- Sur l’opportunité d’investir : un monopole public permettra-t-il de mieux intégrer les externalités positives liées à l’amélioration des infrastructures de stockage ? En tenant compte du coût de l’amortissement et d’entretien des nouvelles infrastructures, l’investissement public nécessaire pour échapper à la TGAP se traduira-t-il vraiment par des prix plus bas et, si oui, à quel horizon ? Le contribuable peut-il y perdre plus que ce que gagnera le consommateur ?
- Sur le monopole public en tant que tel : une délégation de service public, les dépôts étant infrastructures publiques mais l’opérateur restant privé, est-elle une autre solution ? Un monopole privé régulé peut-il être une autre solution ? Un monopole public peut-il avoir des coûts d’exploitation (hors investissement) inférieurs au monopole actuel ? Au vu d’autres expériences en Corse (SNCM...), un monopole public ou semi-public peut-il être un « planificateur bienveillant » ?
Répondre à toutes ces questions demande un travail de fond qui dépasse le cadre de cet article. Une réflexion est d’ailleurs en cours au niveau des pouvoirs publics. Toutefois, il semble qu'un instrument de régulation (pour le moins, un droit de regard et un contrôle régulier) de ce maillon de la chaîne soit nécessaire. Plus largement, la réglementation, la structure et la taille de l’économie ont conduit à de nombreux monopoles ou oligopoles en Corse. Il y a donc de nombreux champs d’étude sur l’opportunité de régulation adaptée pour les économistes et les pouvoirs publics. Un axe de recherche riche pour une future Corsican School of Economics !
Pour ceux qui doutent, cette baisse se retrouve bien dans les prix à la pompe, que ce soit pour le gazole ou le super. Pour l’un et l’autre, le prix du litre a perdu 6 % entre juillet et fin novembre (soit près de 10 centimes de moins par litre). Et ce n’est pas fini car la chute met du temps à se diffuser entre le baril et la pompe.
Une estimation rapide à partir du niveau de carburant consommé en 2013 et du prix moyen observé fin novembre montre que le gain de pouvoir d’achat représente déjà près de ½ % du PIB de l’île en année pleine. Si le cours du brut reste à 50 € comme actuellement (ce qui n’est en rien certain, les mouvements sur ce marché pouvant être très rapide dans un sens ou l’autre) et que les prix à pompe suivent bien, l’apport pourrait atteindre 1 ½ % du PIB en année pleine. Il s’agit là d’un petit plan de relance qui n’a rien coûté à l’Etat ou à la CTC et qui touche directement et concrètement les ménages. Mais, ceci n'arrivera que si la diffusion du contre-choc pétrolier est effective. Il est donc important que ce marché fonctionne bien et qu’il n’y est pas l’appropriation d’une rente au détriment du consommateur.
Il existe un écart de prix entre la Corse et le Continent, malgré la TVA réduite (13 % contre 20 %). Il est connu et suivi par l’observatoire économique de la Corse. En octobre dernier, les mesures avec un territoire de comparaison sur le Continent donnent un surcoût pour le consommateur corse par rapport à celui des Hautes-Alpes de 3,7 centimes d’euros par litre pour le SP95 et de 4,9 centimes pour le Gazole. Ainsi, il est légitime de se demander si le fonctionnement de ce marché est bien conforme à ce que l’on peut attendre ?
Selon une étude faite par l’Adec (cf. Corse-Matin, Via Stella et Corse Net Info), les causes de cet écart sont souvent imparables (coût du transport, taille du marché, absence de vente de carburants par les grandes surfaces, beaucoup de distributeurs indépendants). Mais, il ressort aussi que le coût d'exploitation des dépôts de carburant pose problème (vétusté donc coût de maintenance élevé, inadéquation entre capacité de stockage et demande sur le dépôt bastiais) et que les cuves ne peuvent « techniquement pas incorporer des biocarburants ». De ce fait, la TGAP (Taxe générale sur les activités polluantes) sur les carburants est plus élevée en Corse que sur le Continent. La surtaxe est de 4 centimes par litre sur le prix à la pompe. On retrouve l’écart avec les Hautes-Alpes uniquement par ce biais (il faudrait aussi ajouter le coût de stockage qui n'est pas détaillé dans les articles).
On a donc un impact très important lié à un seul maillon de la chaîne, à savoir l’opérateur en charge de l’importation et du stockage sur Ajaccio et Bastia. Ce dernier est « Dépôts Pétroliers de la Corse » (DPLC) (cf. fiche de cette société). Il s’agit d’une entreprise privée contrôlée par 3 distributeurs présents en Corse (RUBIS TERMINAL pour 48,50 %, Total pour 24,99% et BP - Delek France pour 21,50%).
DPLC est en situation de monopole sur son marché. Ce monopole est même un monopole naturel car la taille du marché (en volume mais aussi géographiquement), la nature et l’importance de l’infrastructure justifiant que l’on ne puisse avoir plusieurs opérateurs. Cet opérateur est contrôlé par les 3 principaux distributeurs présents en Corse, qui sont donc à la fois concurrents et partenaires. Attention, il ne s’agit pas d’affirmer ici qu’il y a entente, ce qui serait diffamatoire, mais ce mode de fonctionnement ne semble pas être une façon d’en exclure non plus la possibilité.
« Défaut d’investissement », « coûts élevés », « monopole », « monopole naturel », « entente » : l’addition de ces mots fait ressurgir des problématiques de concurrence, de défaillances de marché et de régulation couramment étudiées en microéconomie (voir aussi les travaux qui ont valu à Jean Tirole son prix Nobel).
Sans avoir la prétention de couvrir l’ensemble du sujet, allons directement aux conclusions les plus couramment admises :
- Un monopole conduit théoriquement à un prix supérieur à celui qui serait optimal socialement et une réduction de l'offre (« rente de monopole ») ;
- Un monopole non régulé peut aussi conduire à un sous-investissement (problématique des coûts fixes) et des coûts d’exploitation plus élevés que nécessaire ;
- Le monopole est situé au milieu d’une chaîne logistique et induit clairement des externalités sur les maillons suivants ;
- Pour ces raisons, une situation de monopôle naturel peut justifier un monopole public (comme RTE pour les lignes électriques) avec la notion de « planificateur bienveillant » qui puisse à la fois appliquer un prix plus bas (mais pas forcément au coût marginal car il y a aussi des coûts fixes) et prendre en compte des externalités.
Alors une fois qu’on a dit tout ça, faut passer d’un monopole privé à un monopole public ? La réponse est loin d'être évidente car cette question se scinde en une série d'interrogation :
- Sur l’organisation en elle-même : les distributeurs peuvent-ils avoir des politiques d’approvisionnement intégrant un opérateur indépendant gérant les dépôts ? Peut-on techniquement incorporer des biocarburants en Corse ?
- Sur l’opportunité d’investir : un monopole public permettra-t-il de mieux intégrer les externalités positives liées à l’amélioration des infrastructures de stockage ? En tenant compte du coût de l’amortissement et d’entretien des nouvelles infrastructures, l’investissement public nécessaire pour échapper à la TGAP se traduira-t-il vraiment par des prix plus bas et, si oui, à quel horizon ? Le contribuable peut-il y perdre plus que ce que gagnera le consommateur ?
- Sur le monopole public en tant que tel : une délégation de service public, les dépôts étant infrastructures publiques mais l’opérateur restant privé, est-elle une autre solution ? Un monopole privé régulé peut-il être une autre solution ? Un monopole public peut-il avoir des coûts d’exploitation (hors investissement) inférieurs au monopole actuel ? Au vu d’autres expériences en Corse (SNCM...), un monopole public ou semi-public peut-il être un « planificateur bienveillant » ?
Répondre à toutes ces questions demande un travail de fond qui dépasse le cadre de cet article. Une réflexion est d’ailleurs en cours au niveau des pouvoirs publics. Toutefois, il semble qu'un instrument de régulation (pour le moins, un droit de regard et un contrôle régulier) de ce maillon de la chaîne soit nécessaire. Plus largement, la réglementation, la structure et la taille de l’économie ont conduit à de nombreux monopoles ou oligopoles en Corse. Il y a donc de nombreux champs d’étude sur l’opportunité de régulation adaptée pour les économistes et les pouvoirs publics. Un axe de recherche riche pour une future Corsican School of Economics !