En complément à l’émission Cuntrastu du 16 mars 2014




Afin de compléter certains propos tenus dans le cadre de l'émission, voici quelques compléments.

Concernant le fait que le cycle économique corse soit corrélé à celui observé depuis 2008 au niveau national ou en Europe, la plupart des indicateurs (chômage, emploi, défaillances d’entreprises, évolution de la consommation) montrent bien une évolution en parallèle. Pour s'en convaincre, vous pouvez consulter les sites de l'Insee (taux de chômage), de la BdF (défaillances) et de l'Acoss (emplois salariés privés).

Concernant la construction et son évolution, je vous renvoie sur l’article sur la construction et stabilité économique. De plus, austérité et immobilier ne font pas bon ménage. La réduction des nombreuses niches et aides fiscales à destination de l’immobilier devrait encore s'accentuer (capital facilement taxable et non délocalisable). Or, ces aides qui ont boosté le secteur sur les années 2006 à 2012, amenant le secteur à lancer plus de 4 200 logements par an en moyenne sur 2011 et 2012. Le fait que l’on soit revenu vers 3 200 en 2013 est logique. Et, comme précisé dans l’émission, 3 000 logements/an reste sur un niveau d’activité très important. En tout cas largement supérieur à la seule satisfaction des besoins des résidents. Le risque pesant sur le secteur est donc toujours très significatif, même si pour l’instant une crise grave n’est pas encore matérialisée.

Concernant le pessimisme affiché sur le court terme (2-3 ans), à savoir le prolongement d’une situation de stagnation pour l’économie corse alors que les perspectives sont en amélioration en Europe et en France, les principales raisons sous-jacentes sont liées à la permanence d'éléments négatifs (cf. schéma ci-contre valable pour 2014 mais aussi largement pour 2015).

Les problèmes structurels qui ne faisaient encore que pointer leur nez dans les années précédentes se sont installés dans le paysage corse et ne peuvent disparaître du jour à lendemain. On est dans un scénario de lente mais constante dégradation provoqué par un travail de sape sur les fondamentaux économiques. Le modèle économique de l'île est de plus en plus à bout de souffle (ce qui ne veut pas dire qu’il s’effondre mais juste qu’il a perdu son dynamique des années 2000)

Plus grave à horizon 2-3 ans, le fonctionnement du secteur public est profondément remis en cause par la crise. Si les hausses d’impôts ne devraient plus atteindre l’ampleur des années 2011 à 2013, il n’empêche que la pression fiscale reste négative pour l’économie (sur les grands impôts TVA+IR+IS la pression fiscale est passée en Corse de 11 % du PIB en 2001 à 14 % en 2011). L’assainissement des finances publiques semble se faire de plus en plus sur le dos des collectivités locales. Le gel des dépenses et autres transferts va s’accentuer et touchera par ricochet toutes les institutions et associations dépendantes des subventions versées par les collectivités locales.

Plus largement, les transferts publics concernent aussi les retraites et les prestations sociales (près de 30 % des revenus des ménages). Chaque année cette dépendance s’accroît avec le vieillissement de la population et l’augmentation du chômage. Or, les retraites complémentaires sont désindexées de l’inflation (= pouvoir d’achat en recul) et les autres prestations évoluent (pour l’instant) à pouvoir d’achat constant. Et, il ne faut pas oublier les pertes de revenus qui vont arriver avec la vague de départs à la retraite. On a bien là des forces de récession puissantes et durables au sens macroéconomique.

Au niveau des entreprises, les embauches ont continué entre 2008 et 2012 mais l’activité n’a pas suivi suffisamment. Il s’en est suivi une dégradation de la situation financière des entreprises corses, qui ont sacrifié une part de leur rentabilité en faveur de l’emploi (et des impôts). La dégradation financière est plus notable dans les grandes PME (plus de 20 salariés). Du fait de la spécialisation de l’économie corse sur la consommation, ce n’est pas tant la perte de compétitivité induite qui pose problème que le point de non retour atteint sur les marges. Désormais, comme le montre les statistiques de l’emploi, les embauches deviennent plus précaires et les salaires ralentissent. Et on arrive même sur la fin de l’année 2013 à deux trimestres consécutifs de destructions d’emploi salarié dans le secteur privé (selon l’Acoss -0,3 % au T3 et -0,8 % au T4). Même si des politiques nationales sont engagées pour soulager la pressions sur les marges (CICE et baisses de charges), elles mettront du temps à produire leurs effets et donc on n’en verra pas à très court terme les bénéfices.

A moyen terme, un optimisme prudent est de mise :
- allègement de la pression en provenance de la fiscalité et des finances publiques ;
- besoin d’investissement dans les infrastructures urbaines et de base (eaux, déchets, énergie) ;
- besoins d’investissement de renouvellement dans les entreprises en lien notamment avec la reprise-transmission ;
- maintien d’un flux migratoire positif qui permettra d’éviter une baisse de la population active et forme un socle de croissance (même si ce socle est faible et ne permettra pas à lui seul d’augmenter le niveau de vie moyen) ;
- développement en corse de petites unités industrielles et de services qui sont actives à l’export (même si l’on reste encore sur des niches de petites tailles) ;
- transition démographique qui va soulager la pression sur le marché du travail.

Toutefois, il faut maintenant commencer à travailler pour modifier le modèle économique corse. La Corse n’a plus le luxe de l’attentisme. Ce changement doit se faire sans casser ce qui existe déjà (construction, tourisme) car l’on ne peut bâtir une économie différente sur les ruines (et les emplois) de la précédente.


C’est pour cela qu'un plan R&D semble nécessaire. Il faudra donc adapter le cadre budgétaire en rationalisant la structure du secteur public. Une réforme fiscale sera nécessaire afin d’alléger les contraintes imposées par l’Etat via le gel des dotations. Enfin, à l’instar de ce qui a été fait dans de nombreuses régions françaises en 2011, il semble aussi nécessaire d’explorer des voies nouvelles pour financer les investissements et les politiques (appel public à l’épargne, émissions obligataires).

Actuellement, on ne part pas de zéro. Il existe déjà un certain nombre de politiques publiques (Corse Esprit d’Entreprise, Corse-Financement, Corse-Export, Incubateur Territorial, BPI, Oséo, …) qui visent à favoriser la création et la croissance d’activités hors du triptyque construction-tourisme-distribution. La CTC a renforcé son action dans la recherche, en lien avec l’université (projet MIRE…). Mais, ces politiques restent très en deçà de la masse nécessaire pour provoquer un réel changement économique. Il faut sortir de l’incantation sur l’économie numérique ou de la connaissance et agir de façon déterminée. En faisant venir les ressources humaines (donc de payer les salaires et autres dépenses de fonctionnement), puis en favorisant l’essaimage en dehors de la recherche (outils financiers), l’idée est de rompre le cercle vicieux pas d’entreprises -> pas d’emplois -> pas de ressources humaines -> pas d’entreprises.

Or, comme précisé dans l’émission (et comme déjà souligné dans l’émission de 2009), ceci demande un effort important et long, donc une réforme fiscalo-institutionnelle. La substitution entre impôts (TVA+IR+IS) doit être la plus complète possible. Ensuite, la croissance des recettes permet à la fois à l'Etat et aux collectivités corses d'être gagnants sur le moyen terme. Rappelons que si cette réforme avait été faite en 2002, elle aurait permis de se passer du PEI tout en rapportant assez pour faire autant de travaux. Elle peut aussi s’accompagner de transferts de recettes sur les droits de successions ou sur d’autres taxes (écologiques, résidences secondaires, nuitées en location saisonnières) mais cela semble plus complexe (cf. réflexion sur la réforme constitutionnelle). Il faut aussi simplifier le cadre institutionnel local dans une optique de gestion plus efficace des politiques publiques (les économies liées au regroupement Départements/ Région étant probablement très modestes).

Enfin, le temps a manqué pour aborder d’autres sujets. Car, l’on ne fait pas une économie que pour les chercheurs et les cadres. Le plan R&D n’est qu’un aspect (bien que le plus important à mes yeux) des changements structurels à accentuer ou à entreprendre. Il faut aussi continuer à lancer les entreprises à l’export, notamment sur les marchés sardes, italien, espagnols et africains (un continent en pleine émergence et avec des perspectives très positives). Promouvoir l’innovation dans les activités traditionnelles. Défendre les dispositifs fiscaux existants (crédit d’impôts pour l’investissement, FIP) qui ont fait la preuve de leur efficacité pour l’emploi et la croissance. Expérimenter des mesures permettant de réduire la précarité sur le marché du travail (CDI touristique). Combattre la grande précarité et le chômage de longue durée (formation et emplois aidés qui ont toute leur logique pour ces publics) et les problèmes d’insertion des jeunes sur le marché du travail (lutte contre le décrochage scolaire). Repenser les politiques urbanistiques pour rendre la ville plus économe en énergie et en foncier (densification et qualité du bâti). Et tant d’autres choses encore…

Lundi 17 Mars 2014
Guillaume Guidoni