La crise de la dette en Grèce et la Corse


Article publié au mois de juin 2010 dans le magazine Corsica.



La crise de la dette publique en zone euro est venue rappeler une réalité douloureuse a beaucoup de gouvernements européens. Les finances publiques de quasiment tous les pays sont très dégradées. Néanmoins, c’est en Grèce que le problème a pris toute son ampleur. Et, plus que de savoir comment le pays va désormais faire pour se sortir de l’ornière, ce qui est riche d’enseignement pour la Corse est de savoir comment il est tombé si bas.

Les raisons tiennent à un triptyque destructeur dans lequel se sont enfermées les autorités publiques de ce pays sur les 20 dernières années : complaisance, dissimulation et dépendance.

Les gouvernements grecs successifs depuis le milieu des années 90 ont fait preuve d’une grande complaisance envers le modèle économique du pays. Le tourisme et la construction furent des piliers de la croissance et l’activité générée dans ces secteurs s’est diffusée à l’ensemble de l’économie. De plus, le secteur public a stimulé l’économie à travers une forte progression des dépenses publiques (+82 % entre 2000 et 2008 alors que le PIB progressait seulement de 75 %). L’État a pu embaucher et maintenir un système de prestations sociales généreux (notamment sur les retraites) car les recettes fiscales ont suivi la forte croissance économique et le déficit était financé à moindre frais (taux d’intérêt bas à la suite de l’entrée dans la zone euro). En même temps, le pays fut peu actif à l’exportation alors qu’il importait en masse. Un modèle finalement assez courant en Méditerranée. Tant que la croissance des deux premiers secteurs était au rendez-vous, pas de problème.

Mais voilà, la crise actuelle a frappé tous les piliers de l’économie grecque. Elle a commencé par faire baisser la fréquentation touristique et éclater la bulle immobilière. Puis, progressivement, il est apparu que l’effondrement des recettes fiscales posait un gros problème, car il fallait trouver de l’argent frais pour financer le déficit mais aussi pour assurer le remboursement des emprunts antérieurs. Les taux des obligations d’État sont alors remontés, ce qui a renchéri le coût de la dette publique, renforçant alors les craintes. La prophétie auto-réalisatrice sur la banqueroute de l’État grec s’est mise en place dès mi-2009. La complaisance envers un modèle économique incapable de se passer de ciment, de touristes et d’emplois publics a semé des vents mauvais.

Ensuite, il ne faut pas oublier que la dissimulation a été élevée au rang de politique publique. Bien plus que les problèmes d’évasion fiscale ou de fraudes, c’est le maquillage des comptes publics qui a conduit une grande partie des financeurs étrangers de la Grèce (principalement des institutions financières de la zone euro) à couper le robinet. En effet, si en situation normale un petit mensonge n’a pas vraiment de conséquence, apprendre à l’automne 2009 que le déficit public ne sera pas autour de 6 % du PIB mais plutôt autour de 12 % est assez désagréable. Savoir en plus que le trucage est institutionnalisé depuis près de 10 ans rajoute un peu plus de rancœur. Or, comme précisé ci-dessus, les craintes sur la dette publique étaient déjà présentes. La dissimulation a renforcé les vents.

Enfin, l’État grec s’est enfermé progressivement dans une situation de dépendance, douce quand tout allait bien mais fatale une fois que les deux points précédents ont atteint leur limite. Le déficit a pu exister grâce à de l’argent étranger. Comme les émissions de dette obligataire dépassaient les capacités d’absorption du pays, l’État s’est tourné vers les institutions financières de la zone euro pour trouver l’argent nécessaire à son fonctionnement. 90 % de la dette publique grecque est détenue à l’extérieur du pays. Or, début 2010, le gouvernement a perdu la confiance de ses financeurs. La peur de la banqueroute est devenue trop forte. Incapable de trouver les sommes nécessaires pour faire assumer à la fois le remboursement des échéances et le déficit de 2010-2011 (autour de 90 milliards €, soit environ 35 % du PIB !), l’État grec a du se résoudre à appeler à l’aide, avec les conséquences que tout le monde connaît. La dépendance a fait se lever la tempête.

Cette leçon doit être retenue, y compris en Corse. Evitons de nous complaire dans un modèle économique insuffisamment diversifié et dépendant des transferts publics. Sinon, il faudra vite apprendre l’art de la dissimulation pour retarder un peu plus les choix, qu’ils soient ambitieux ou douloureux.

Article publié au mois de juin 2010 dans le magazine Corsica.

Mercredi 23 Novembre 2011
Guillaume Guidoni