Les gains de productivité : amis ou ennemis ?


réclamer un choc de productivité pour booster la croissance potentielle en Corse, c'est bien beau. Mais est-ce réellement une solution pour l'emploi ?



A la suite d’un article, un lecteur a envoyé des remarques sur la question des gains de productivité. Il notait que dans son entreprise, l’idée de gains de productivité se traduit dans les faits par des suppressions de postes permises par l’automatisation ou l’informatisation de certaines tâches. Comme il ne note justement, le tissu économique en Corse ne permet pas non plus de fournir des emplois plus qualifiés, échappant aux mutations liées à la technologie.

Et il est loin d’avoir tort. Il ne pas faut le nier, à court terme les gains de productivité peuvent être l’ennemi de l’emploi. Après tout, l’idée centrale est bien de générer plus de valeur ajoutée pour un même volume de rémunération des facteurs travail (salaire) ou capital (fonds de commerce). Quand on achète une machine qui produit plus ou quand on réorganise une équipe afin qu’elle soit plus efficace, la conséquence peut être négative sur les salariés, notamment les moins qualifiés, car une augmentation du chiffre d'affaire n'est pas forcément systématique. En outre, si cette rentabilité supplémentaire se fait sans retour sur les salaires ou l’investissement, mais part dans les dividendes ou l’accumulation de cash, alors elle est stérile.

Cette problématique rejoint aussi celle des inégalités au sein de la population et les mutations économiques actuelles. D’un côté, l’essor des entreprises numériques et plus généralement du numérique dans les entreprises traduit par une augmentation des besoins en ressource humaine très qualifiée, très bien payée et très productive. Ceci permet à des géants comme Google de comptabiliser de 59,8 milliards de dollars de chiffre d’affaire et 12,9 milliards de dollar de bénéfices et avec 50 000 employés. A titre de comparaison, le groupe Renault fait 40,9 milliards d’euros de chiffre d’affaire pour un bénéfice de 500 millions d’euros (20 fois moins que Google) et avec 122 000 salariés (plus du double de Google).

De l’autre côté, l’automatisation, l’informatisation et la robotisation croissante des métiers se traduisent par une pression grandissante sur les emplois peu qualifiés mais aussi désormais les techniciens qualifiés voire les cadres. Ce mouvement risque de s’emballer avec l’arrivée massive de robots et machines que l’on nous promet dans notre quotidien (cf. chaîne automatique de cuisson d’hamburger de Momentum Machines ou encore la construction de maison via imprimante 3D …). C’est la fin annoncée du petit boulot de fast-food mais aussi de celui de maçons. Quand à la croissance de la puissance des algorithmes, il menace bien des métiers de la finance de marché et même celui d’économistes.

Mais, à moyen et long terme, les gains de productivité sont le seul moyen de permettre aux entreprises de conserver à la fois assez de marges de manœuvre pour augmenter les salaires réels (salaires corrigés de l’inflation) et pour investir.

Sans gains de productivité, une entreprise qui continuerait à augmenter les salaires réels verrait son taux de marge dégringoler. Certes, il est possible de baisser les charges pour faire remonter artificiellement le taux de marge, comme avec le CICE, mais ça ne change rien à la tendance. Au final, le risque d’un décalage persistant entre productivité et salaires est donc de bloquer l’investissement, ce qui revient à réduire encore plus la capacité à gagner en productivité, mais aussi de former une résistance de plus en plus grande aux hausses de salaires futures. Ce cercle vicieux reflète exactement ce qui se passe au niveau de la France et en Corse (où la productivité apparente est quasi-stagnante).

On a donc une divergence possible entre les conséquences à court et celles à long terme. Dépasser ce blocage passe non pas par un refus de la productivité mais par l’accompagnement des salariés en termes de formation pour suivre l’évolution du progrès technique mais aussi par une nouvelle taxation des bénéfices des entreprises (plus sur les dividendes, moins sur l’investissement). Le crédit d’impôt sur l’investissement en Corse est de ce point de vue bien plus bien plus positif économiquement que le crédit d’impôt compétitivité.

Plus de productivité et d’innovation sont nécessaires pour nous permettre de créer une économie plus forte et plus équitable. Sans eux, la tendance actuelle à l’accumulation des gains de la croissance par les plus favorisés et le déclassement des autres sera lourde et difficile à infléchir. Il ne s’agit pas de bâtir une économie pour happy few.

Plutôt qu’une vaine discussion sur le déficit public de 2015, la réflexion devrait se porter sur des questions plus structurelles : comme articuler plus efficacement les politiques de formation (initiale et continue), d’innovation et les prestations sociales jugées aujourd’hui largement perfectibles voire inefficaces ? Comment mobiliser le secteur privé, y compris les TPE, sur la thématique de la productivité ? Comment s’assurer que cela soit au bénéfice du plus grand nombre ? Des questions un peu plus intéressantes que de savoir si le déficit public sera en 2015 à 4,8 % du PIB ou à 4,2 % du PIB.

Mercredi 1 Octobre 2014
Guillaume Guidoni