Synthèse des problématiques de recherche et d'innovation en Corse


La mise à jour par l’Insee des données sur les dépenses de recherche et développement régionalisées pour 2017 confirment les grands constats portés depuis plusieurs années sur l’état de l’effort en recherche en Corse (compilation de tweets).



Une position critique en termes de R&D en Corse

Pour rappel, selon la définition de l’Insee, la dépense de recherche et développement correspond aux travaux de recherche et développement exécutés sur le territoire quelle que soit l'origine des fonds. Une partie est exécutée par les administrations, l'autre par les entreprises. Elle comprend les dépenses courantes (masse salariale des personnels de R&D et dépenses de fonctionnement) et les dépenses en capital (achats d'équipements nécessaires à la réalisation des travaux internes à la R&D et opérations immobilières réalisées dans l'année).

Avec seulement 0,3 % du PIB en 2017 en termes de dépenses de recherche (20,4 M€ pour le secteur public ; environ 10 M€ pour les entreprises privées*), la Corse se place au dernier rang des régions métropolitaines. Son effort est près de quatre fois inférieur à celui des Hauts-de-France qui est classée avant-dernière en Métropole. En comparant avec les régions d’outre mer, l’effort ramené au PIB est de deux fois inférieur en Corse.

Depuis le milieu des années 90, l'intensité pour le secteur public fluctue entre 0,2 % et 0,3 % du PIB de l’île. Pour les dépenses des entreprises, le montant reste famélique, avec un petit 0,1 % du PIB depuis le milieu des années 2000. On n'observe pas sur les deux dernières décennies un mouvement susceptible d’être qualifié de hausse. La Corse se situe très loin des objectifs de la stratégie de l’UE en la matière (3 % pour les dépenses totales).

Le retard de la Corse est tout autant visible au plan européen. Sur les 275 régions disposant de données en 2017, seules 13 avaient un niveau de dépenses ramenées à leur produit intérieur brut inférieur à celui de la Corse. En comparaison avec d’autres îles européennes, la Corse se situe au niveau des Açores (0,3%), est un ton en dessous de Madère ou des îles Baléares (~0,35%). Pour les autres, la distance devient nette (Malte & Chypre: 0,6% ; Sardaigne & Sicile: 0,8% ; Crète: 1,4% ; Islande: 2,1%).

En conséquence de cette faible dépense, les emplois liés aux activités de conception et de recherche – salariés au cœur des processus de développement de nouvelles idées, produits ou procédés – sont très peu présents en Corse. En 2017, on dénombre seulement 730 postes toutes catégories confondues, dont 530 cadres. Le nombre a reculé d’une centaine de poste entre 2012 et 2017.

Les autres régions métropolitaines connaissent toutes des progressions pour ces emplois stratégiques (entre +10 % et +20 % suivant les régions). Leur diffusion en dehors de la recherche publique est modeste (2/3 des postes étant à l’université ou dans les centres publics).
Le secteur privé concentre le reste dans les activités informatiques et dans les services scientifiques et techniques.

* L’Insee ne publie pas pour la Corse les dépenses privées (seuil de secret statistique). L’estimation pour les entreprises est obtenue en croisant les données d’Eurostat, celles sur le crédit impôt recherche et sur les jeunes entreprises innovantes.

Les causes du sous-financement de la R&D en Corse

Les causes de la faiblesse corse sont à la fois ancrées dans l’histoire et aux restrictions budgétaires sur les dernières années. Pour les dépenses publiques, les constats proviennent de la comparaison des niveaux de dépenses par type de structure (enseignement sup., centres de recherche, établissement publics et hospitalier) entre la Corse et les régions à faible population (Franche-Comté, Limousin). Quatre sources de sous-investissement se détachent clairement :
i/ L’absence de centre hospitalier universitaire en Corse quand ils représentent 15M€ de dépenses de R&D en 2017 pour le Limousin et 20 M€ en Franche-Comté. L'absence de CHU est donc un enjeu qui dépasse le seul aspect sanitaire. On en paie aussi le prix en termes de capacité d'innovation et de recherche.
ii/ Hormis pour une petite équipe de l’IFREMER, l’absence d’équipe localisée en Corse pour les établissements publics sous statut industriel et commercial, comme le CEA. Ces établissements ne sont pas non plus présents pour la Franche-Comté et le Limousin, et cela écarte aussi ces régions des performances observées dans les autres régions.
iii/ Seulement un établissement public de recherche, avec l’INRAE dans l’agriculture et l’agro-alimentaire. Si la Corse dispose d’un centre (3,5 M€ de R&D en Corse en 2017), quand ni la Franche-Comté, ni le Limousin n’en disposent ne permet toutefois pas de rétablir l’équilibre perdu du côté hospitalier ou établissement sous statut EPIC.
iv/ Enfin, malgré la présence de laboratoires du CNRS, l’université de Corse apparaît sous dotée, avec seulement 17 M€ (Université + CNRS) quand le Limousin dispose de 56 M€ et la Franche-Comté de 90 M€.

Par conséquent, même en tenant compte des différences de population, l’absence de décentralisation des structures de recherche publique et de centre hospitalier universitaire laisse déjà un trou de 10 M€ par rapport à des régions métropolitaines à faible population. Et cela ne placerait la Corse qu’au mieux parmi les régions en retard. Il manque en fait près de 30 M€ par an pour que l’on revienne à un niveau faible mais acceptable.

Ainsi, le poids de l'histoire, avec l'absence de centres universitaires avant la refondation progressive de l'université dans les années 70 se fait encore sentir 50 ans après.

Les choix budgétaire sont aussi inquiétants. En effet, les dépenses de l’INRAE en Corse s'affaiblissent depuis 10 ans. En 2017, elles sont presque 2 fois inférieures à celles de 2009. De même, le CNRS dépensait 4 M€ en 2000 mais seulement 3 M€ en 2017. Seule l’université a vu ses dépenses progressé. Non seulement la situation n'est pas bonne, mais la tendance est à la diminution des moyens présents sur l'île pour les budgets les plus liés aux décisions nationales.

D’ailleurs, si l’université de Corse surnage dans le marasme, c’est principalement grâce à l’augmentation de l’effort financier de la collectivité de Corse. Le financement régional a été en moyenne de 14,9€/habitant en Corse sur 2010-14 (moyenne métro: 12,5€/h), puis de 24,2€/h sur 2015-17 (vs 10,8€/h).
La collectivité de Corse a compensé la baisse de l’effort étatique. La part du financement régional en Corse atteint 30 % de l’effort total en R&D publique (moyenne 2010-17) quand les collectivités locales ne financent que 7 % de la recherche en métropole. L'effort insuffisant dans la recherche publique dans l'île est avant tout une défaillance de l'état central.

Au niveau du secteur privé, la structure sectorielle et la structure en taille des entreprises conduit assez logiquement à une faible part des dépenses en recherche et développement. On retrouve là le modèle économique méditerranéen. L'extrême faiblesse en Corse comparée à d'autres îles reflète là encore un héritage et des choix économiques lourds.

Une faiblesse qui va au-delà de la recherche et touche la capacité à innover

L’innovation s’entend au sens large. Elle peut aussi se faire de différentes façons : avec une équipe dédiée de chercheurs, de techniciens ou de manageurs au sein de l’entreprise ; en payant une équipe externe ; en achetant de nouveaux matériels ou de nouvelles techniques. Ainsi, le processus d’innovation dépasse la seule vision industrielle, scientifique ou technique et concerne autant les secteurs traditionnels et les services. L’innovation est un alliage de créativité, de savoir-faire, d’imitation, de technologie, de marketing et d’audace.

En Corse, l'effort dans l’innovation « tactique » (réduction de coût, amélioration de l’organisation…) est notable mais il est insuffisant dans l’innovation stratégique (nouveau produit et conquête de nouveau marché). Les PME corses choisissent une approche défensive ou de nécessité pour s’adapter à la concurrence ou aux nouvelles pratiques sur un marché mature. Il s’agit d’une innovation destinée à préserver la performance de l’entreprise sur son marché.

Compte tenu des données disponibles sur la R&D du secteur privé, celle sur le CIR et celles sur l’emploi salarié dans le privé dans les fonctions de conception et recherche, les constats des deux études citées semblent toujours largement valables à la fin des années 2010. L’effort d’innovation est donc limité dans l’innovation stratégique, tourné vers le développement de nouveaux produits et la conquête de nouveaux marchés. Ceci réduit la capacité du tissu économique à s’adapter à des évolutions technologiques rapides et à en tirer profit.

Or, non seulement la transition numérique a déjà commencé mais la crise de la COVID-19, notamment en favorisant le télétravail et la consommation par Internet, l’accélère. Le secteur du tourisme, les commerces et les services aux entreprises sont déjà engagés dans ces mutations. L’ensemble de l’économie est concerné à brève échéance et le niveau d’anticipation des entreprises corses est problématique, particulièrement pour les TPE. Le niveau d’équipement est faible, y compris en termes de relais commerciaux sur Internet (site ou vitrine).

Les infrastructures (haut-débit) étant encore en phase de déploiement, les activités économiques des territoires ruraux et de montagne restent peu connectées aux opportunités offertes par le numérique. Or, ces mutations commerciales imposent aux TPE est de trouver des réponses nouvelles, pour les assimiler et les retourner à leur bénéfice.

Un processus de destruction/création est en place, supprimant des usages anciens et les entreprises qui vont avec pour en créer de nouvelles, plus conformes dans leur fonctionnement et leur offre avec les nouveaux comportements de consommation.
Mais la destruction n'amène pas mécaniquement la création. Le processus peut se déséquilibrer d'autant plus facilement que les mutations se font sur un tissu économique affaibli par une crise sanitaire sans précédent.

Les défaillances dans la recherche et l'innovation ne sont pas que des problèmes de startup nation

Le manque d’investissement dans la recherche et l’innovation est donc proprement béant autant pour le secteur public qu’au niveau des entreprises corses. Ce retard écarte un peu plus année après année la Corse des économies régionales les plus performantes en la matière. Or, on ne peut dissocier l’innovation, large dans sa définition, et la recherche, visant la création de nouvelle connaissance et pas forcément un débouché rapide en termes de chiffre d’affaire ou de bénéfice. L’une ne va pas sans l’autre. Les ressources humaines sont largement communes aux deux activités. Innover nécessite des qualifications techniques ou au moins une sensibilité aux évolutions technologiques et organisationnelles.

Les activités de R&D publiques permettent de disposer d’un substrat de chercheurs et de former les diplômés du supérieur nécessaires. Tous ne seront pas des innovateurs dans leur vie professionnelle mais ils comprendront l’intérêt, les codes voire le langage de l’innovation. De proche en proche, l’essaimage des compétences et de la maîtrise des technologies se fait. Par effet de diffusion, le tissu économique traditionnel gagne en agilité et en capacité à anticiper.

Le numérique provoque une automatisation et robotisation croissante pour les une large gamme de métiers. Il fait émerger de nouvelles compétences, parfois pointues, difficiles à attirer ou à retenir pour une petite économie ouverte comme la Corse. Elle s’accompagne d’une externalisation croissance des activités pour les entreprises, par choix pour celles qui veulent concentrer sur le cœur de métier, et aussi par obligation quand les besoins dépassent les capacités techniques en interne.

Les années 60 à 80 ont structuré la distribution de masse autour des enseignes nationales. La dernière décennie a structuré de l’éco. de proximité autour de franchise nationale ou européenne. La transition numérique vient aussi déporter en dehors de l’île une partie de la valeur. Les grandes multinationales du Web concentrent une part croissance des revenus tirés des nouveaux modes de consommation et de comportement. Amazon et les géants du e-commerce prennent une part grandissante dans le commerce de proximité. Les plateformes de réservation d’hôtels ou de location saisonnière captent une part des revenus touristiques. Google et Facebook aspirent – entre autre – les revenus de la publicité locale. Derrière le numérique se retrouvent: effet de volume, puissance marketing de produits et services reconnus à l’échelle mondiale, prix attractifs pour des produits normés…

Derrière le lieu commun qui dit « le numérique peut se faire n’importe où », la réalité capitalistique et technique est favorable à la massification.
Le numérique existe en Corse. Il reste très petit, seule une poignée de grosses PME étant capables d’employer et de donner des perspectives au personnel très qualifié et mobile, voire même nomade, que le numérique nécessite. Il se développe et des entreprises solides émergent. Mais, on ne peut parler encore d’écosystème. Le numérique représente 2,7% de l'emploi en Corse en 2017, soit la proportion la plus faible de France, y compris régions d'outre mer. Les liens manquent avec les activités traditionnelles et les ressources humaines, notamment les spécialistes en informatiques, sont trop peu nombreux. En plus de la rareté des cadres de recherche vue précédemment, les emplois de cadres et techniciens dans l’informatique ne sont qu’en faible progression dans l’île et ont une diffusion faible en dehors des secteurs TIC et du secteur public. Cette réflexion précédente peut être élargie aux transitions écologiques et énergétiques. Rien n’assure automatiquement que la montée en compétence se traduise en emploi local.

Il ne faut donc pas sous-estimer l’importance du fait technologique et de l’innovation « de conquête ». Les économies performantes en termes d’innovation sont aussi celles qui investissent le plus mais aussi diffusent à travers l’enseignement et la formation. Pour une économie comme celle de la Corse, avec des ressources humaines, entrepreneuriale et financières forcément limitées et une focalisation sur l’innovation défensive, une stratégie d’innovation doit être opportuniste. Il s’agit de capter sur place la part la plus importante possible des chaînes de valeur, de permettre au tissu économique de comprendre les percées technologiques et de les adapter à l’outil de production corse. Ça concerne autant les secteurs traditionnels que les startups.

Sans effort plus important sur la R&D, notamment publique, le premier maillon de cette assimilation est manquant. Il faut un minimum de ressources humaines et d’agilité pour rendre compréhensible les changements du monde.

Un déficit de gain de productivité qui obère l'avenir

Illustrant les conséquences du retard en R&D et innovation, les gains de productivité du travail sont restés faibles en Corse, y compris lors de la forte croissance des années 2000 et tout autant sur la décennie suivante. Ceci explique que malgré une croissance facialement élevée, on n'a plus de mouvement de convergence pour le PIB en volume par emploi ou le revenu disponible brut par habitant. Dit simplement, il y a un décalage entre croissance globale et gain sur le niveau de vie par tête.

La question des gains de productivité est plus souvent vue comme une menace pour l’emploi que comme la nécessaire source d’une croissance forte et durable. Les gains de productivité sont souvent associés à des suppressions de postes. Il ne pas faut le nier, à court terme, les gains de productivité peuvent être l’ennemi. L’idée centrale est de générer plus de valeur ajoutée pour un même volume de rémunération des facteurs travail ou capital.
Quand on achète une nouvelle machine ou quand on réorganise une équipe, la conséquence peut être négative sur les salariés, notamment les moins qualifiés. Schématiquement, les gains de productivité suppriment le besoin de personnel pour des tâches simples ou répétitives. Or, le tissu économique corse n’est pas le plus riche en emplois qualifiés. En outre, la rentabilité générée peut être stérile, au sens où elle se fait sans retour sur les salaires ou l’investissement, mais plutôt dans les dividendes ou l’accumulation de trésorerie.

Cette problématique rejoint aussi celle des inégalités au sein de la population. L’essor des entreprises numériques et plus généralement du numérique augmente les besoins en ressource humaine très qualifiée, très bien payée et très productive. Une nouvelle rupture se forme sur le marché du travail, entre des employés contraints de suivre des évolutions au pas de charge et des super-salariés, aux rémunérations hors norme dues à leur position au cœur de la mutation techno et leur maîtrise des forces sous-jacentes. Le risque est de créer un décalage persistant entre productivité et salaires, puis de bloquer l’investissement, réduisant encore plus les gains de productivité futur. Ce cercle vicieux est présent en Corse, où la productivité apparente est quasi-stagnante.

La thématique est mondiale, en tout cas présente dans quasiment toutes les économies développées. Partout, on observe un ralentissement des gains de productivité depuis 20 ans et des questionnements autour du paradoxe entre un discours permanent sur la révolution 2.0 ou 3.0,...
l’arrivée visible de nouvelles technologies, et l’absence de traduction en termes de productivité. Plusieurs explications et hypothèses peuvent être avancées pour expliquer le mouvement de baisse. Notamment, la question de la « qualité » de création de nouvelles entreprises, censées être plus à même de provoquer le choc de productivité attendu.

En Corse, les créations d’entreprises sont fortes depuis près de deux décennies. La dynamique entreprenariale est systématiquement la plus importante des France métropolitaine et s’est renforcée avec la création du statut d’auto-entrepreneur (devenu désormais micro-entrepreneur).
La Corse cumule un fort taux de créations d’entreprises par habitant et une meilleure survie de ces entreprises. On a donc, à grands traits, une dynamique plutôt vertueuse. Toutefois, les entreprises se croissent moins en emplois, en chiffre d’affaires ou en investissement. Selon l’Insee, les créations d’entreprise visent un marché de proximité et sont axée vers le consommateur plutôt que vers les services aux entreprises.

On retrouve cette focalisation chez les auto-entrepreneurs qui sont désormais un élément non négligeable du tissu économique corse. Mais, les microentreprises génèrent globalement des revenus faibles. Ces entrepreneurs gagnent moins que l’équivalent d’un SMIC annuel. Sans faire de jugement de valeur sur le potentiel de chaque création, l’ambition des créateurs est surtout la création de leur ​propre emploi. Sur la dernière décennie, les créations d’entreprises avec au moins un salarié dès le départ ne suivent pas la dynamique globale. En moyenne, on comptabilise moins de 20 créations par an avec plus de 2 salariés au départ en Corse.

Il est aussi possible que des entreprises peu productives conservent des positions dominantes sur leur marché. Ces entreprises bénéficient de rentes de situation qui bloquent la concurrence et donc la possibilité pour des nouvelles firmes, plus productives, de se développer. Il est difficile de démontrer à l’échelle de la Corse cette hypothèse. Certains éléments plaident en ces sens, d'autres montrent que les "grosses" PME (y compris franchises et enseignes) impulsent l'innovation dans le tissu local.

Certes, le lien entre, d'un côté, la recherche et l'innovation et, de l'autre, la vigueur des gains de productivité n'est ni automatique, ni évident. Toutefois, en Corse, la faiblesse est partagée des deux côtés. Elle nourrit les inégalités et éloigne l'horizon des possibles.

Chì fà ?

On s’échine depuis tellement de temps à penser les politiques de développement de tel ou tel secteur par le haut, pour des succès somme toute assez limités, que tout ceci commande l’humilité, tant en Corse qu’ailleurs. Il est évident que des écosystèmes productifs mieux structurés et capables de se regrouper dans une logique de cluster* sont clefs pour la croissance et de la résilience. Les filières économiques sont confrontées à des problématiques largement communes : formation, financement, transitions, équilibre concurrentiel, saisonnalité, transport, foncier et immobilier d’entreprise. Autant de thème que l’on retrouve partout, avec des nuances marginales.

Mais les politiques de structuration de filière, formes de politiques industrielles, présentent un défaut central : elles favorisent les entreprises les plus à même de mobiliser les moyens publics et les mieux organisées pour les solliciter. Une approche systémique a parfois plus de sens qu'une compilation d'approches sectorielles, surtout si l'on souhaite obtenir un changement rapide et radical.

On a pu croire à un moment que la Corse bénéficierait d'un boost fiscal "systémique" sur ces thèmes, avec une bonification des taux de Crédit Impôt Recherche / Crédit Impôt Innovation. Une mesure pouvant diminuer le coût de l'innovation pour les petites entreprises était bienvenue, les contrôles fréquents sur ce crédit d’impôt par les services fiscaux permettant d’en vérifier la bonne utilisation. Mais, le dispositif a été bloqué par la Commission européenne et l'Etat n'a pas fait grand chose pour le défendre. Le boost sur le CIR a été supprimé avant même d'être mis en place et, pour le CII, la mesure est cosmétique.

C'est pour ces raisons qu'un plan R&D publique est fondamental, passant par un financement important de filières de recherche à l'université, dans les équipes, centres ou établissements publics, déjà présents ou à implanter. L'impossibilité d'agir avec ampleur et rapidement à travers les entreprises pousse en ce sens. C'est le premier étage, indispensable. L’Islande a suivi un chemin similaire dans les années 80-90 (un premier étage avec la R&D publique puis transmission au secteur privé) et, même si la Grande Récession a laisse des traces, la R&D reste un point fort du pays à la fois dans le secteur public et le secteur privé. L’investissement – car il s’agit bien de dépenses d’investissement et pas de fonctionnement – dans la R&D publique doit être élevé au rang de priorité, au même titre que l’accès aux services de base. L'échelon local apportant déjà un financement conséquent, il est de la responsabilité de l'Etat central de proposer un cadre à même d'enclencher cette dynamique, au titre de son sous-investissement séculaire.

* Notion qui a notamment émergée à partir des travaux de M. Porter. Un cluster regroupe sur un territoire retreint d’entreprises ou d’acteurs d’une même filière d’activités. La Silicon Valley en est l’exemple le plus souvent donné.


Vendredi 16 Avril 2021
Guillaume Guidoni